Debout sur le soleil, op.8
Chant de Résurrection pour orgue (19990)

Durée : 25’
Dédicace : à Michel Bourcier
Création : 10 mars 1991, Paris
Église Saint-Eustache
Organiste : Michel Bourcier


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(AL 28229)























DEBOUT SUR LE SOLEIL, OP.8

Lorsqu'au milieu du XVe siècle, l'empereur Zara-Yaq'ob publia « Le livre des enchantements », (T'omara Tesbe'et), les terres chrétiennes d'Abyssinie étaient encore largement soumises aux rites de divination, à la magie, aux meurtres rituels et aux terreurs superstitieuses. C'est pour réagir contre ces mœurs discordantes que Zara-Yaq'ob, « le fils bien-aimé de l'Église », contacté par les émissaires du pape Eugène IV en vue du rapprochement des chrétiens latins et orientaux, écrivit lui-même cet ouvrage d'instruction théologique destiné à unifier spirituellement les fidèles dans la foi au seul Visage du Ressuscité.
Cette période de l'histoire éthiopienne présente de grandes similitudes avec la notre. La fin de notre XXe siècle voit émerger le mythe du « retour sacré, ou du religieux », tandis que fleurissent de loin en loin de nombreuses sectes plus ou moins religieuses et/ou intégristes. L'incapacité des sciences humaines, des progrès techniques, des diverses idéologies matérialistes et rationalistes à répondre durablement aux aspirations des populations, a cédé le pas à des créations plus irrationnelles de l'esprit humain, justifiant notamment la violence morale et politique.
J'ai repris le titre de l'écrit impérial de Zara-Yaq'ob dans sons sens étymologique : « Le traité de l’incarnation de Dieu », ou « de la nature humaine assumée par Dieu », pour couronner un cycle d'ouvrages à caractère « péri-liturgique », dans un sens proche de ce et de l'Hymnodie syriaque tout comme le « Livre du pacte miséricorde », Triptyque marial écrit entre 1980 et 1988, dont ce nouveau cycle est le pendant.
Au sens large, l'hymnodie désigne un ensemble de compositions ecclésiastiques poétiques, éventuellement non bibliques, et destinées à être chantées. L'hymodie chrétienne commença dès le début du Christianisme. Saint Paul en a cité des fragments dans ses Épîtres (I Tim.3, 16-II Tim.2,11-13- peut être aussi Ph.2,6-II). Saint Ephrem (303-373) est l'un des plus célèbres hymnodes de l'église syriaque.
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Le prologue du « Livre des enchantements » est un madrosh pour orgue seul, inspiré du Miserere de Jacques Leclercq. Le terme de madros (de darasha, instruire, rechercher, ouvrir une voie dans un sens amoureux) désigne un genre lyrique comportant notamment un refrain presqu'invariable, appelé cunito, qui se répète après chaque strophe. Saint Ephrem a souvent eu recours à ce genre poétique très ancien, porteur de ses pensées affectueuses sur la vie de Jésus. Les chœurs qu'il avait fondés chantaient ses compositions et lui, au milieu d'eux, les accompagnait à la harpe.
Jacques Leclercq, né en 1923, est prêtre à Notre-Dame de Paris. Après avoir passé 15 ans au Sud-Cameroun, il a fondé le service d'accueil de Notre-Dame, en 1968. Ce vaisseau grandiose est le lieu de son cri et des homélies bouleversantes, au cours desquelles il se dissout totalement le Visage de sa foi. Ses deux ouvrages publiés aux Éditions du Seuil (Le jour de l'homme, Paris 1976, et Debout sur le Soleil, Paris 1980) sont un reflet d'une spiritualité débordante d'amour pour Celui qui est toute sa vie.
J'ai été fortement impressionné par la résonance des voûtes de Notre-Dame avec la voix de Jacques. De même le grand orgue Cavaillé-Coll est le contrepoint idéal de sa parole, qui ressemble à du feu. Dans cet édifice, en présence de Jacques, tout devient grandiose, cosmique, et en même temps très humble.
Cette adéquation absolue, qui parfois relève de la féerie si le soleil s'en mêle en jouant avec les couleurs des rosaces, m'a poussé à écrire une paraphrase de l'une de ses plus belles méditations:
Le « Miserere », chapitre terminal de son livre Debout sur le Soleil
(« Et l'ange s'est dressé debout sur le Soleil » Apoc.19,17).
J'ai essayé de dire musicalement cette vibration de Dieu qu'est Jacques lorsqu'il parle dans la Cathédrale Notre-Dame, en me pénétrant de l'architecture de l'édifice gothique, des jeux de couleurs et de rythmes des rosaces, des timbres du grand orgue, de la voix de Jacques et de ses harmoniques, de ce qu'il dit, et surtout du Visage qu'il dit, à la manière d'un grand madrosh dont le texte commence souvent par ces mots: « Pour décrire ta beauté... », ou « Décrire ta beauté est impossible... » L'ouvrage, d'un seul tenant, est construit sur un grand nombre de symboles, en particulier les 41 invocations : « Seigneur, aie pitié de nous, ô Christ! » dans la liturgie eucharistique éthiopienne, les 153 poissons de la pêche miraculeuse à la Résurrection de Jésus (Jn.21,11) et les 153 « Ave Maria » du Rosaire... et par dessus tout les 169 citations:
« Souviens-toi! » dans le Pentateuque, traduites en ge'ez, éthiopien liturgique, puis
transcrites en morse rythmique et mélodique.
Le chiffre 7 domine la structure interne de la partition. Le sens de ce chiffre est bien connu, extraordinairement riche et fertile. Ce sont surtout les 7 gros cierges aux côtés de l'autel de Notre-Dame, mais aussi les 7 Archanges, les 7 fois « Je suis » dans Saint-Jean, les 7 Veilleurs du livre d'Hénoch…
Deux thèmes principaux reviennent souvent dans l'œuvre : celui du « Miserere », de la détresse humaine, parfois combiné avec un « thème de sainteté », tiré de la liturgie juive (Falacha) éthiopienne (« L'accueil de La Torah »); et celui du « Soleil de résurrection », tiré lui, d'un chant pascal éthiopien orthodoxe. La durée de l'œuvre est celle d'une homélie de Jacques Leclercq : de 17 à 20 minutes environs. Contrairement aux Laudes op.5 (1983-1985), les registrations sont d'avantage descriptives que prescriptives, à quelques jeux de mutations près (en particulier les trois Tierces : 6' 2/5
-3' 1/5 - et 1' 3/5). Bien que l'ouvrage ait été conçu pour un très grand instrument (Saint
Eustache, ou bien Notre-Dame), Debout sur le Soleil peut néanmoins être joué sur tout orgue disposant de grandes mutations graves. Ces jeux (la grande Quinte 10' 2/3, la grande Tierce 6' 2/5, la grande Septième 4' 4/7, les Théorbes...) sont dans cet ouvrage la résonance harmonique du timbre de la voix de Jacques dans la cathédrale. Il n'y a pas cependant pas dans cette œuvre une recherche systématique et approfondie sur les timbres, comme dans Les Laudes. Ici domine la virtuosité, notamment au pédalier, dont le rôle est presque équivalent à celui d'un troisième clavier manuel dans l'écriture.








Jean-Louis Florentz