crédit photographique © Bernard Richebé
Jean-Louis Florentz est né à Asnières le 19 décembre 1947.
Il consacre ses études universitaires aux Sciences naturelles, à l’Arabe littéraire et à l’Ethnomusicologie. De 1971 à 1975, il est élève au Conservatoire de Paris, dans les classes d’Olivier Messiaen et de Pierre Schaeffer. Il est également l’élève d’Antoine Duhamel.
De 1971 à 1979, il effectue 14 voyages d’études en Afrique du Nord, au Niger et en Côte d’Ivoire ; de 1981 à 1986, 4 voyages d’études au Kenya ; et de 1982 à 1997, 8 voyages d’études en Israël, Martinique, Polynésie, Afrique du Nord, Egypte.
Pensionnaire à la Villa Médicis à Rome de 1979 à 1981, il enseigne en 1981 et 1982 la composition et la musique africaine occidentale au Kenyatta University College de Nairobi au Kenya. De 1983 à 1985, il est pensionnaire à la Casa de Velazquez à Madrid et Palma de Mallorca. Il devient alors professeur d’analyse des musiques de tradition orale au Conservatoire National Supérieur de Musique de Lyon jusqu’en 2000.
Jean-Louis Florentz a reçu de nombreux prix depuis le début de sa carrière de compositeur : en 1978, le Prix de composition Lili Boulanger ; en 1985, le Prix Georges Wildenstein de l’Institut de France ; en 1989, le Grand Prix Musical de la Ville de Paris pour l’ensemble de son œuvre ; en 1990, le Grand Prix Musical de la Fondation Prince Pierre de Monaco pour Asun (Assoun, anciennement Requiem de la Vierge), op. 7 ; en 1991 le Grand Prix de la Musique Symphonique de la SACEM ; en 1993, le Prix René Dumesnil de l’Académie des Beaux-Arts.
En 1995, il est élu membre de l’Académie des Beaux-Arts.
Il est compositeur en résidence auprès de l’Orchestre National de Lyon de 1995 à 1997 et auprès de l’Orchestre National des Pays de Loire de 2000 à 2002.
Jean-Louis Florentz a été élève-titulaire à l’Institut d’étho-musicologie des communications animales de l’Ecole Pratique des Hautes-Etudes où il a travaillé en particulier sur les polyphonies des oiseaux en milieu équatorial et publié plusieurs articles. En 1989-1990, il entreprend à nouveau des études sémitiques approfondies (langues éthiopiennes) à l’Institut National des Langues et Civilisations Orientales (INALCO) ainsi qu’à l’Ecole des Langues Orientales Anciennes de l’Institut Catholique. Plusieurs voyages en Israël lui ont permis de vivre en contact étroit avec la communauté éthiopienne orthodoxe de Jérusalem-ouest (monastère Däbrä Gännät). Il en a rapporté un enregistrement de la liturgie de l’Assomption publié dans la collection OCORA/Radio-France.
Ses œuvres symphoniques sont jouées par les plus grands orchestres : Orchestre Philarmonique de Radio-France, Orchestre de Paris, Orchestre National de Lyon, Orchestre National de France, orchestres nationaux de Lille, Strasbourg, des Pays de Loire, Ensemble orchestral de Paris, orchestres de Copenhague, Stockholm, Munich, de la RAI (Rome), sous la direction de A. Jordan, S. Bychkov, J. Mercier, E. Krivine, S. Baudo, G. Herbig, K.A. Rickenbacher, G. Amy, C. Bardon, H. Soudant, Th. Guschlbauer, Z. Macal, J. Nelson…
Officier de l'Ordre National du Mérite
Chevalier des Palmes Académiques
Officier des Arts et Lettres
crédit photographique © Bertrand Lazerme
Parcours de l'œuvre de Jean-Louis Florentzpar Fabrice Contri
Genèse des œuvres : terrains, rencontres, maturation
À l’instar de Paul Dukas ou de Maurice Ravel, Jean-Louis Florentz posait
un regard particulièrement exigeant sur ses compositions. Celles-ci
demeuraient souvent des mois sur le métier. Comme chez ses pairs, sans
doute y avait-il chez lui, en cette lenteur, outre une marque de
perfectionnisme, la volonté de faire corps avec sa création. Florentz
laissait mûrir l’œuvre ; la manière dont il l’engendrait et entrait en «
communion » avec elle passait par le tamis de l’expérience. Imprégné
des rituels religieux orientaux, et notamment l’univers soufi, il
macérait l’idée avant de l’exprimer*.* Il lui fallait construire un «
imaginaire1 ». C’était là un de ses maîtres mots lorsqu’il enseignait,
et son parcours artistique comme humain, sa vie personnelle, relevait
d’une quête : celle d’un ailleurs, au gré des cultures, des paysages et
des sociétés humaines ou animales qu’il partait découvrir. Il éprouvait
l’impérieux besoin, comme tout ethno(musico)logue, de « faire du terrain
», de « prendre le temps de la rencontre ». Un tel désir le mena du
monastère de Däbrä Gännät (monastère du Paradis2) à Jérusalem aux
temples de Karnak en Égypte, des espaces vertigineux de l’Orohena
(Tahiti) au Kilimandjaro ; il tenait à collecter lui-même la matière de
son inspiration, cueillant et accueillant sons et paroles d’Afrique,
d’Océanie ou d’Orient. Religere et religare (recueillir et relier) : la «
religion » de Florentz demeure consciente d’une souveraine unité,
au-delà de la multiplicité formelle apparente. Asùn (op. 7, 1986-1988,
originellement intitulé Requiem de la Vierge) s’abreuve à une grande
variété de sources. Citant le Coran, divers textes de la tradition juive
(falasha) d’Éthiopie comme des Églises d’Orient et d’Occident, évoquant
orchestralement les espaces naturels de l’Afrique ou quelque rituel
tibétain, cet ample « conte liturgique », hymne marial, célèbre d’une
seule voix le mystère de la Création. Aussi L’Hospitalité des mémoires
(Genèse de ma technique harmonique3)n’est-il pas seulement l’énonciation
raisonnée des techniques du langage musical du compositeur, mais une
invitation à réaliser que « notre monde contemporain, pour sa survie,
doit se préparer à accueillir d’autres savoirs » : mémoires des origines
; mémoires des rituels ; mémoires portées par la parole vivante des
traditions orales qui féconde l’histoire.
Voyageur dans l’âme, Florentz n’avait cependant rien du vagabond ; une
discipline scientifique guidait ses pas.
Des ouvrages de mathématiques,
d’ethnomusicologie, des recueils de poèmes en arabe classique, de
psaumes en langue guèze, côtoyaient sur sa table de travail ou dans la
pile de ses livres de chevet Les Mille et Une Nuits (dans la traduction
de Mardrus), Les Neiges du Kilimandjaro d’Hemingway ou Long Walk to
Freedom de Nelson Mandela. Contrairement à nombre de ses contemporains –
Berio, Ligeti, Ohana, Reich –, il allait toujours directement sur le «
terrain », cela jusque dans les dernières années de sa vie. Madagascar
et le Sahara tunisien furent ses ultimes voyages : le désert lui permit –
en un vaste poème symphonique, Qsar Ghilâne (op. 18, 2003) – de capter
la voix des Djinns, alors que la vue d’une jeune fille malgache sur une
plage de l’Océan Indien lui inspira un chant très pur – L'Enfant des
Îles (poème symphonique, op. 16, 2001) – révélant son être intime :
celui d’un enfant de l’Afrique. Sa dernière œuvre, L'Enfant noir (conte
symphonique pour orgue, op. 17, 2001, dont seul le prélude a été
achevé), est habitée par « l’irrépressible mal du pays » dont il
souffrit à la fin de sa vie, alors que la maladie le contraignait à
rester « confiné » dans son petit appartement boulonnais.
Florentz, conteur africain ?
“Tout est signe et sens en même temps pour les Négro-Africains. Chaque
être, chaque chose, mais aussi la matière, la forme, la couleur,
l’odeur, le geste et le rythme et le son et le timbre : la couleur du
pagne, la forme de la Kora, le dessin des sandales de la mariée, les pas
et les gestes du danseur, le masque4. “
L.S. Senghor
Les compositions de Florentz ne peuvent pas être regardées comme des
objets isolés ; elles se font écho et se répondent.
Elles résonnent des
paroles et des chants des êtres, hommes ou animaux, qu’il a côtoyés. Ces
correspondances représentent un trait essentiel du processus créatif du
compositeur.
Elles témoignent de son extraordinaire « porosité » au
monde et de son profond désir d’unir des univers qui peuvent parfois
sembler lointains ou même contradictoires : la religion chrétienne et la
danse (L'Anneau de Salomon, danse symphonique pour grand orchestre, op.
14, 1998, qu’il aspirait à faire danser dans une église ; La Croix du
sud, poème symphonique pour orgue, op. 15, 1999-2000) ; la facture
raffinée de l’orgue et le vacarme des réacteurs d’avion (Chant des
fleurs, quatrième pièce des Laudes pour orgue, op. 5, 1985) ; l’Orient et
l’Occident…
Cette volonté de tisser des liens s’exprime également par
une propension à la réécriture, ou encore par la mise en relation
d’œuvres en apparence dissemblables – du moins par l’effectif
instrumental. Chez Florentz, l’objet à façonner reste longtemps en
chantier, car la matière et les idées sont creusées le plus profondément
possible. Les œuvres renaissent, ressurgissent sous différents états au
gré du parcours de vie de leur créateur. Ainsi, l’orchestre du second
mouvement des Marches du soleil (op. 4, 1981-1983 ; retiré du catalogue
par le compositeur) cède le pas à quatre violoncelles : ainsi naît le
Chant de Nyandarua (op. 6, 1986) qui, nourri sans doute par la nostalgie
des vastes espaces de la Rift Valley au Kenya, engendre à son tour le
Second chant de Nyandarua (pour douze ou huit violoncelles, op. 11,
1985-1995). De même, Debout sur le soleil (pour orgue seul, op. 8, 1990)
et Asmarâ (pour chœur mixte a cappella, op. 9, 1991-1992) forment
le
Livre des enchantements ; le Magnificat (op. 3, 1980), Laudes et Asùn
constituent les piliers du Livre du Pacte de Miséricorde, vaste
triptyque sur les méditations (mystères) du rosaire.
« La parole c’est un monde. La parole est dangereusement nombreuse. […]
Parler, cela aussi est une parole ; se taire, cela aussi est une parole ;
toute chose est parole5 ».
Le genre du poème ou « conte » symphonique
domine le catalogue florentzien. Comme l’écheveau du mythe, le discours
poétique de Florentz doit être démêlé pour en saisir les multiples fils
narratifs. Conteur, rhapsode, le compositeur structure son discours par
épisodes ou sections en coïncidence avec ses « scénarios », modelant la
forme au gré de ses pérégrinations à travers le monde. Grand auditeur de
Bach et du chant des oiseaux, Florentz est d’abord un polyphoniste.
Profondément influencé par l’Afrique sub-saharienne, « sa » polyphonie
s’avère porteuse d’une parole allégorique, souvent emplie de symboles,
notamment numériques. Comme cette parole africaine parmi d’autres, la
musique de Florentz demande à être décryptée afin qu’en soit saisi le
sens dans toutes ses subtilités. Chaque emprunt, chaque évocation ou
réminiscence, se fait signe, entre en résonance. Le chant du calao gris
et la cymbalisation6 de la cigale deviennent harmonies chatoyantes,
hétérophonies, polyphonies savantes dans le jeu de l’organiste ou au
sein du grand orchestre symphonique ; le violoncelle appelle à la prière
et cantille (Le Songe de Lluc Alcari, concerto pour violoncelle, op.
10, 1992-1994 ; L'Ange du tamaris, pour violoncelle solo, op. 12, 1995) ;
tels enchaînements de tierces parallèles évoquent la musique bantoue
;dans La Croix du sud, pensée pour les grandes orgues de Notre-Dame de
Paris, tel trait de pédalier virevolte en évoquant les pas d’une danse
de cour amoureuse du Hoggar (Sahara algérien). De riches polyrythmies et
le jeu fusionnel, « multiphonique », des différents registres de
l’orgue enrichissent encore la trame compositionnelle. Cette dimension
vibratoire se manifeste aussi dans le traitement du timbre : Florentz
aime les sonorités complexes, il travaille le spectre harmonique avec
minutie, cherche à le « charger », comme le font les musiciens africains
qui, bruitant le son premier, le dotent de voix singulières – celles
des ancêtres, des esprits de la brousse ou de la forêt, des divinités –,
l’emplissent de mystères.
L’orchestre symphonique se situe au cœur de la production de Florentz,
de même que la voix qui révèle l’amour que le compositeur vouait au
chant lyrique et à la mélodie. L’orgue – l’un des principaux chantres de
la liturgie chrétienne, « ultime présence du sacré au sein du rituel
catholique occidental contemporain » – et le violoncelle – voix
charnelle, « qui ne se joue que dans l’étreinte7 » – constituent
également deux éléments essentiels de sa palette sonore. Il conviendrait
d’y ajouter la lyre éthiopienne bagana et la vièle touareg imzad,
instruments qu’il évoqua ou imita (tant à l’orchestre qu’à l’orgue) à
plusieurs reprises. Ce sont là, chez lui, autant d’« instruments
parleurs8 », élevés au rang de personnages au sein de son univers
narratif, et qui célèbrent la spiritualité et la sensualité d’une même
aspiration mystique. Florentz, musicien traditionnel ?
De même qu’Olivier Messiaen ne se rendit jamais en Inde, sa terre de
prédilection, Jean-Louis Florentz ne fit jamais le voyage – le
pèlerinage – en Éthiopie, « préfiguration du Paradis »…
Les troubles
sociopolitiques qui bouleversèrent ce pays au cours de la seconde moitié
du XXe siècle l’empêchèrent de s’y rendre ; mais sans doute qu’en dépit
des vicissitudes de l’histoire, il préférait, lui aussi, le rêve à la
réalité. Car s’il sut agir en ethnomusicologue, avec toute la science et
l’objectivité requise,
il joua avec le réel en imprégnant ses œuvres
d’une poésie fort personnelle.
L’écriture florentzienne cultive la
distance et, même lorsqu’elle s’inspire de sources éparses, voire use de
la citation, elle ne devient jamais copie. Florentz se plaisait à
confondre les divers chemins de son exploration harmonique à ses
déambulations dans la nature, notamment dans « le grand temple des
forêts africaines », « laboratoire de la résonance naturelle », captant,
analysant les chants d’oiseaux et d’insectes, amplifiés, filtrés par
les espaces végétaux. Il cherchait lors de chacun de ses nombreux «
voyages d’étude » à s’éveiller, avec le plus d’acuité possible, à ces
jeux sonores ; il ne tentait pas de se délester de son propre bagage
musical : celui de l’Occident avec sa forêt d’églises, de cathédrales et
leurs liturgies. Sa fascination pour d’autres cultures ne l’amenait pas
à renier ses racines, ses propres espaces : son œuvre ne succombe
jamais pour autant à la tentation de l’amalgame, elle ne s’apparente
aucunement à une tentative de métissage, encore moins à un ralliement à
la world music, mais repose sur une synthèse d’influences innombrables,
méticuleusement associées – synthèse qu’il jugeait nécessaire,
salvatrice.
Ainsi, les principes de la résonance naturelle et du
pentaphone,
« gages d’universalité », se font les hôtes de la modalité, «
matière subtilement malléable », comme ils se mêlent à la tonalité,
porteuse de plusieurs siècles d’histoire occidentale. La parole
multiculturelle de Florentz apparaît comme le fruit d’une appropriation
réfléchie ; polyglotte, elle n’ignore pourtant jamais l’étymologie.
Florentz, en quête de l’autre comme de lui-même, ne l’était en rien de
la nouveauté à tout prix, en ce qu’elle peut contenir d’opportuniste et
de péremptoire. Sa modernité ignore le temps et la mode ; elle tend
aussi vers une (ré)conciliation de cultures, d’esthétiques, de styles
divers, puisant dans les profondeurs de l’Antiquité quelque anecdote,
offrant à la fugacité de l’instant la sacralité du mythe. Il n’y a pas
chez lui de volonté de rompre ou de trancher ; peut-être exprime-t-il
simplement le rêve de durer, en s’inscrivant dans une histoire et un
espace appréhendés le plus largement possible : en cela Florentz aspire à
l’immutabilité d’un enracinement traditionnel aux antipodes de toute
politique de tabula rasa. C’est cet état d’esprit qui le mit souvent en
porte-à-faux avec les avant-gardes musicales occidentales de la seconde
moitié du XXe siècle.
Aujourd’hui, la musique de Florentz sonne résolument moderne et
audacieuse à certaines oreilles – notamment celles des organistes – ;
elle apparaît à d’autres passéiste, voire surannée… S’interroger sur le
style florentzien, en opposant sa dimension novatrice à ses retours vers
le passé, et son « indicible nostalgie9 », ne semble guère opportun.
Une telle question revient, en effet, à envisager de façon plutôt
ethnocentrique – du moins, selon un point de vue occidental somme toute
récent, qui considère l’avant-gardisme comme une suprême qualité –, une
manière originale de se positionner au regard de l’histoire. Si Florentz
peut être regardé comme un musicien « traditionnel », c’est bien parce
qu’il fait fi d’une chronologie purement linéaire, qui se bornerait à
une simple accumulation « horlogère » des faits. La tradition est un feu
que chaque génération attise. Florentz ne demeure pas obstinément le
regard tourné dans une seule direction. Grand érudit, il est l’héritier
d’un vaste patrimoine culturel qu’il actualise selon sa propre
sensibilité.
Tel un musicien traditionnel, il souhaite « être simplement
contemporain ».
Il convient, au-delà de ces débats, de reconnaître que Florentz n’était
pas toujours en phase avec les milieux et les langages musicaux en vogue
à son époque. Son tempérament exigeant, son caractère réputé bourru,
voire sa misanthropie – vis-à-vis d’une certaine humanité – en étaient
l’émanation sensible. Sans doute fallait-il justement, pour saisir sa
sincère générosité et sa réelle profondeur, laisser de côté une forme
d’ethnocentrisme européen afin de faire le voyage avec lui ; ce même
ethnocentrisme qui a pu mener quelques critiques à le vouer aux
gémonies, comme à le hisser aux cimes du « génie », notion incongrue au
sein des cultures traditionnelles, du moins celles qu’il admira et
étudia. Florentz avait pleine conscience que l’artiste ne pouvait que se
contenter d’assimiler, de transformer : tenter de comprendre, non point
prétendre créer.
Un héritage vivant
Bien que l’on ne puisse juger de la qualité d’une œuvre au seul succès
qu’elle obtient auprès du public, il importe de souligner que les
compositions de Florentz, au moins auprès des organistes et des
violoncellistes, n’ont cessé depuis leur création d’être interprétées,
cela malgré leur complexité d’exécution. Le temps « lorsque l’Histoire
cruelle et implacable achève de miner ce qui, finalement, n’avait pas
autant d’importance qu’on l’a cru d’abord10 » – dira évidemment si cet
apport laissera une empreinte pérenne au sein du paysage musical
occidental. Même si plusieurs aspects de son langage ou de son éthique
créatrice ont permis de rapprocher Florentz de quelques compositeurs ou «
écoles » de son temps – comme Olivier Messiaen, Henri Dutilleux,
Philippe Hersant ou les musiciens de l’Itinéraire –, il serait
périlleux, compte tenu de sa personnalité, de chercher à le classer.
Au-delà de ses emprunts à de multiples traditions musicales ; au-delà de
ses terrains au Kenya, en Israël, Polynésie, Égypte ou à Madagascar,
parmi tant d’autres ; au-delà de sa fréquentation assidue de certains
hauts lieux de l’école organistique française et de son amour des grands
coloristes – de Tournemire à Duruflé, de Dukas à Messiaen, de Puccini à
Villa-Lobos –, Florentz a toujours voulu rester indépendant. Plutôt que
de postmodernité, il conviendrait sans doute de parler à propos de son
œuvre d’une sorte d’« exomodernité » – sans recherche gratuite du
néologisme : une forme d’ouverture à de multiples cultures, à diverses
terres et strates temporelles, à différentes esthétiques, sans crainte
de l’inopportun, de l’anachronique. Cette attitude a conduit Florentz à
remettre en cause, parfois à rejeter, certaines formes de pensée et de
sensibilité occidentales, à s’extirper de tout système – si ce n’est
celui des rituels religieux. « Au seuil du XXIe siècle, le brassage
considérable de populations très différenciées dans les grandes
métropoles ne permet plus de faire l’économie de leur compréhension
approfondie11 » : la leçon de Florentz, pour autant qu’il cherchât à en
donner une, réside sans doute dans l’affirmation qu’une confluence des
cultures s’avère plus que jamais nécessaire aujourd’hui. Foisonnante
polyphonie qui ne peut s’épanouir que si nous demeurons, comme il a su
le faire, dans un perpétuel émerveillement.
1 Les citations sans mention de source renvoient toutes à des
conversations personnelles que l’auteur de ce texte a eues avec
Jean-Louis Florentz entre 1997 et 2002 (notamment lors d’entretiens
réalisés dans le cadre d’une « Carte blanche » au CNR de
Boulogne-Billancourt pour le cinquantième anniversaire du compositeur).
2 Jean-Louis Florentz y enregistra un double CD pour Ocora Radio
France, collection qui, outre ses terrains, lui ouvrit de nouveaux
univers musicaux.
3 Traité dactylographié, exemplaire hors-série n° 11, s.d.n.l., 110 p.
4 Léopold Sédar Senghor, « Postface aux Éthiopiques », Œuvre
poétique, Paris, Seuil, coll. « Points Essais », 1990, p. 109.
5 Sory Camara, Paroles très anciennes, Grenoble, La Pensée sauvage, 1982, p. 69.
6 Terme technique, employé par les entomologistes, que chérissait
Florentz pour sa connotation musicale. Désigne le chant de séduction de
la cigale mâle pour attirer la femelle.
7 Jean-Louis Florentz, notice de L’Ange du tamaris, sur le site de l’Association Jean-Louis Florentz : http://www.jeanlouisflorentz.com (lien vérifié le 12 janvier 2016).
8 Le discours musical de nombre d’instruments africains repose
sur un encodage mélodique et rythmique de la parole, d’où l’expression «
instrument parleur » communément employée en Afrique.
9 Jean-Louis Florentz, préface de la partition du Second Chant de Nyandarua, Paris, Leduc, 1997 (AL29025).
10 Marie-Louise Langlais, Jean-Louis Florentz, l’œuvre d’orgue. Témoignages croisés, Lyon, Symétrie, 2009, p. 179.
11 Jean-Louis Florentz, extrait de la notice de présentation de sa classe d’ethnomusicologie au CNSMDL.
© Ircam-Centre Pompidou, 2016