QŞAR GHILÂNE, OP.18
À l’extrême sur de la Tunisie, en bordure du grand Erg Oriental, QŞAR GHILÂNE est une
oasis saharienne encerclée de dunes.
Ce paradis possède des jardins où évoluent de nombreux oiseaux, des sources thermales
réputées et des plantations de tamaris entretenues par d’anciens nomades M’razig. La
citadelle, à l’écart de la palmeraie, faisait partie du « limes » (frontière) de l’Empire romain.
Parfois, aussi bien la nuit que le jour, on y entend de mystérieuses mélopées,
et bien d’autres sons étranges... sans doute les litanies des « Ghoules », sorte de Djinns
perfectionnés dans l’art de changer de forme, qui hantent les endroits les plus isolés et
surviennent inopinément en se joignant aux voyageurs pour les égarer.
QŞAR GHILÂNE signifie en effet : « le palais, ou le repaire des Djinns qui déroutent les
nomades... »
Né en 1925 dans une famille hongroise en Transylvanie orientale (Roumanie), Lorand
Gaspar est un poète français qui a exercé jusqu’à sa retraite comme chirurgien au C.H.U.
Charles Nicolle de Tunis. C’est là-bas que je l’ai rencontré, il y a près de trente ans.
Son poème « ETRANGER » est une méditation sur son passé d’émigrant et sa vie de
migrateur ou nomade, depuis les années de déportation dans un camp de travail allemand
d’où il s’évade en 1945 pour se retrouver à Strasbourg « après une promenade de
400 km ». La France lui ayant accordé l’asile politique, il s’installe à Paris, y fait des études
de médecine et se spécialise en chirurgie. Envoyé en 1955 dans les hôpitaux français de
Jérusalem et de Bethléem, il rejoint son poste à Tunis en 1970.
Ayant « presque tout appris en arpentant les terres, en côtoyant les vies les plus
déshéritées de la planète », Lorand Gaspar dit ce qui est né de son expérience de l’accueil,
de l’hospitalité, de la tolérance... de ce sentiment d’être étranger, et en même temps
présent partout où il se déplace.
Son œuvre s’enracine essentiellement dans la nature et les grands espaces, en particulier
les vastes horizons de l’Orient et de l’Afrique... qui sont la toile de fond de toute ma
musique.
De retour au Sahara tunisien après 21 ans d’absence, j’ai d’abord composé en 1999 un
poème symphonique pour grand orgue : « La croix du sud », inspiré d’un texte Touareg
anonyme recueilli par Lorand Gaspar lors d’un voyage dans le Hoggar. Dans le
prolongement de cette œuvre, j’ai désiré écrire un nouveau poème symphonique, articulé
cette fois sur un poème de Lorand, et dont je pourrais me faire l’écho, avec un orchestre.
C’est dans l’oasis de QŞAR GHILÂNE, où Lorand Gaspar a séjourné comme moi, que j’ai
commencé les premières esquisses de cet ouvrage.
« QŞAR GHILÂNE » suit et paraphrase le poème « ETRANGER ». D’un seul tenant, l’œuvre
comporte trois sections correspondant à celles du poème :
1. « ...dans l’arène... »
2. « ...dans le cœur ouvert du désir... »
3. « ...dans le visage rouillé d’ors des ciels d’icônes du couchant - »
Mais ce poème symphonique « raconte » aussi d’autres expériences, car ma musique
s’inspire de sources différentes qui se rejoignent...
Jean-Louis Florentz, Boulogne, 19 janvier 2003