L'aventure de Plaisance-du-Gers
Jean-Louis Florentz a souvent exprimé, lors d'entretiens, la conception évolutive qu'il a de l'orgue et son désintérêt envers toute tentative qui tendrait à figer l'instrument dans telle ou telle esthétique passée. À Plaisance-du-Gers, charmante bastide du sud-ouest de la France, l'occasion va lui être fournie d'intervenir activement sur la conception d'un nouvel orgue au moment même de son élaboration. Jean-Louis Florentz rencontre le jeune facteur Daniel Birouste au début des années 1980. Celui-ci a en projet la construction d'un orgue d'une quarantaine de jeux dans l'église du village, projet intégré à un autre, plus vaste, de développement culturel en milieu rural que soutiennent conjointement l'association Ars Organorum animée par Bertrand Lazerme et la commune de Plaisance-du-Gers: restauration de l'église, création d'un centre culturel, d'un cinéma, d'une bibliothèque, de cours de musique, d'une chorale... Comme à l'époque des corporations, le facteur d'orgue tire des ressources locales (notamment pour ce qui concerne le bois) une aide précieuse pour un chantier qui devient communautaire : l'orgue, acteur de la vie culturelle locale. (1)
Je suis très heureux et fier d'avoir pu intervenir dès l'origine du projet de construction sur le plan esthétique, et l'instrument dispose de certains jeux qui accentuent son caractère "atypique", ou plus exactement son originalité. Pour moi, pour nous à Plaisance-du-Gers, l'orgue est avant toute autre considération un instrument de musique, dont l'évolution n'est pas terminée. Pour l'avenir de la musique d'orgue, je souhaite que d'autres compositeurs puissent intervenir sur la partition instrumentale avant la construction d'un nouvel orgue. (2)
Contrairement à ce que l'on pourrait penser, la participation du compositeur à l'élaboration du projet n'avait pas pour but de faire dévier celui-ci vers un orgue seulement dévolu à la conception florentzienne de la palette sonore. Le dialogue entre un créateur de sons et celui qui les organise aboutit non pas à un orgue-manifeste, mais à un instrument de musique original, ni copie, ni modèle, dont le charme agit pleinement sur l'auditeur. Terminé en 1987 grâce à un mécénat d'un type nouveau, souvent repris depuis, consistant en un parrainage de tuyaux, l'instrument est inauguré en juin 1988. Vingt années après, son constructeur analyse sa démarche d'alors:
L'influence de Jean-Louis [Florentz] dans l'orgue de Plaisance-du-Gers ne se limite pas à l'ambitus des claviers et du pédalier, l'introduction de la Flûte harmonique du Grand-Orgue, la Septième du Positif, le développement d'une grande synthèse flûtée au Récit, les pressions multiples...
Tout cela, c'est le côté quantitatif, extérieur, de son influence. Car un orgue ne se réduit pas à une composition de jeux et c'est dans le domaine du matériau sonore - beaucoup plus que dans celui de la registration - que l'apport de Jean-Louis Florentz a été vraiment déterminant. Après sa rencontre, mon objectif fut de faire évoluer notre projet initial de l'orgue de Plaisance-du-Gers vers la création d'un instrument moderne en faisant le chemin inverse de celui qui avait été adopté par les créateurs de l'orgue néoclassique. Ne pas partir d'un orgue symphonique préexistant, ou latent, que l'on "classicise" par des apports de jeux, mais prendre comme point de départ, au contraire, une modélisation classique que je savais bien maîtriser. En l'occurrence l'orgue alsacien de type Silbermann. C'est ce qui constituait, en gros, mon projet initial pour Plaisance et qui s'avérait compatible pour un élargissement esthétique puisque ce type d'orgue est déjà assez polymorphe tant pour la musique française que celle de Bach. Cest donc sur cette base que je pensais possible de tenter l'incorporation d'éléments caractéristiques de la période symphonique que l'on retrouve dans les œuvres d'Alain ou Duruflé dont les registrations me paraissaient assez archétypiques de l'esprit qui avait présidé à l'orgue néoclassique [...].
Je considérais [initialement] que l'esthétique visuelle et l'organisation architectonique étaient les seules parts malléables de l'orgue sur lesquelles je pouvais agir pour les mettre en résonance avec l'architecture environnante mais je pensais que pour tout le reste (progression des tailles, alliages, pentes de biseaux, pressions, etc.) il fallait s'en remettre aux acquis de l'histoire. C'est ce que Jean-Louis est venu faire exploser en m'amenant à repartir de l'intérieur même du projet musical de l'orgue - en soi -. Nos discussions m'ont permis de comprendre que c'était bien sur l'ensemble du matériau technologique du son que je devais agir au lieu de m'en remettre à des mesures relevées dans tel ou tel instrument. C'est donc dans ce qu'il y a de plus caché dans l'instrument, et plus exactement dans l'élaboration de ce qui relie ces éléments cachés, que l'influence de Jean-Louis a été la plus déterminante lors de la construction de l'orgue de Plaisance-du-Gers. Et tout en étant cachée, c'est sans doute cette relation effective dans l'ensemble du matériau sonore de cet orgue qui saute immédiatement aux oreilles'. (3)